Grand jour aujourd'hui. Mon premier entretien d'embauche. Je suis … terrifié. Pourtant, c'est moi le patron qui vais embaucher un employé, ce devrait être les candidats qui devraient stresser autant. Mais non. J'ai pas eu énormément de personnes pour le poste malheureusement. J'ai fait venir trois personnes. Deux hommes et une femme. Alors, certes, j'ai regardé leurs CV mais je n'y prête pas forcément attention. Puis je ne retiens jamais ce qui est écrit mis à part leur nom. Je veux pouvoir juger la personne en face de moi, savoir si oui ou non d'un premier abord je pourrais avoir confiance en cette personne. Suivre mon instinct quoi. Après tout, j'y connaissais que dalle au début en élevage de pokémon, j'ai appris sur le tas et je me suis pas mal débrouillé. Enfin je crois … Alors je veux pas recaler quelqu'un juste parce qu'il a moins d'expérience dans le domaine.

Le premier que je fais passer s'appelle Rufus et le feeling ne passe clairement pas. Je le soupçonne d'être un psychopathe à la manière dont il dévisageait Aria, ma Wimessir, quand elle nous a emmené une tasse de thé. On aurait dit qu'il avait vu une belle assiette de poulet frit sauce cajun … Quand je lui ai demandé qu'est-ce qu'il aimait faire de son temps libre, il m'a répondu qu'il aimait observé les pokémon et les gens. Qu'il adorait aller dans un grand parc, s'installer au pied d'un arbre et regarder les gens et les pokémon vivre leur vie et s'imaginer ce qu'ils allaient faire. J'ai coupé court à l'entretien en serrant les fesses, prétextant que j'avais entendu tout ce que je voulais savoir. Et heureusement que le second, Carter, était dans la pièce d'à côté. Sinon je suis presque sûr que Rufus m'aurait observé jusqu'à la mort. Carter était sympa, un type bien. Pour l'instant c'est le meilleur de candidats. En même temps j'en ai vu que deux et la troisième va pas tarder à arriver. Mais le jeune homme ne m'a pas paru super motivé. Disons qu'il avait besoin d'un boulot, que ça payait bien et que le cadre était sympa, ça lui ferait presque des vacances. Je savais pas trop quoi en penser. J'aimais son honnêteté mais je voulais pas qu'il se la coule douce, surtout s'il était ici pas parce qu'il le voulait mais parce qu'il le fallait. Trente minutes après avoir posé plein de questions pour cerner un peu le personnage, je le laissais filer pour faire rentrer la dernière candidate.

« Vous pouvez entrer … Euh … Je me suis permis d'appeler les deux autres candidats par leurs prénoms car ils étaient plus vieux que moi, ça vous dérange pas si je vous appelle par votre prénom ? »

Je lui tends la main en souriant timidement, laissant entrer la jeune femme dans mon « bureau » qui n'est autre que le salon de Bordeciel. Je l'invite à s'installer sur une chaise en face de moi alors qu'Aria et Berlioz reviennent à nouveau avec un plateau qui lévite contenant des tasses vides, ainsi que des carafes remplies de thé et de café.

« Je vous présente Aria et Berlioz, ils très dévoués à Bordeciel et ils me sauvent la mise tous les jours. Ils prennent plus soin de moi que je ne prends soin d'eux. Vous voulez quelque chose à boire ? Thé ? Café ? »

Mes deux Wimessir se tiennent prêts à satisfaire la moindre demande.

« Hum … Dîtes moi donc pourquoi vous voulez travailler à Bordeciel en tant qu'hôtesse d'accueil. Est-ce que le fait que le fait qu'il y ait un élevage de pokémon ici a joué ? C'est pas commun qu'un élevage devienne aussi une auberge. C'est un projet ambitieux et assez nouveau, je crois que j'ai jamais vu les deux combinés ensemble, du moins à Lathea. »

Je demande d'abord, curieux. En toute honnêteté, je ne sais même pas quelle réponse j'attends. Moi si on m'avait posé la question, j'aurais répondu que j'aime bien aider les gens. Et que surtout j'adore les pokémon. Alors si j'avais la possibilité d'aider les gens dans un endroits remplis de pokémon dans lequel on prend soin d'eux, ça serait le paradis. Mais chacun pense comme il veut, je peux pas blâmer les autres pour ne pas penser comme moi.

Dire qu’Eva est stressée est un bel euphémisme. En vérité, elle est folle d’angoisse, quand bien même son regard sévère posé sur la pièce qui l’entoure ne trahirait pas la moindre anxiété. Il faut regarder un peu plus avant pour le comprendre, ses yeux fuyants, ses lèvres légèrement pincées, ses doigts qui s’entremêlent les uns contre les autres, ses fesses qui ne peuvent pas s’empêcher de bouger sur le fauteuil où elle a fini par s’asseoir en comprenant que si elle ne le faisait pas, elle ferait les cent pas jusqu’à ce que mort s’ensuive. Pourtant, le cadre de l’élevage de Bordeciel est paradisiaque, c’est magnifique et tout semble fait pour apaiser une personne qui viendrait visiter le maître des lieux. Sauf qu’Eva n’est absolument pas là ni pour acheter un Pokémon ni pour venir prendre des vacances ; là, c’est une petite chance qu’elle s’offre, la première de sa vie. Elle va au moins tenter de le décrocher ce boulot, parce que c’était la seule annonce intéressante pour elle, maintenant qu’a germé dans sa petite tête l’idée de quitter le giron familial pour voler de ses propres ailes. Et il était temps.

Devenir éleveuse, elle n’y avait jamais vraiment pensé. C’est arrivé quand elle a rencontré Aconit, le petit Toxizap qui dort tranquillement sur ses genoux, ignorant parfaitement la nervosité manifeste de sa dresseuse qui n’en peut plus d’attendre. Elle est toute seule, ici, l’homme qui serait susceptible de l’embaucher est en entretien avec quelqu’un qui pourrait tout à fait lui piquer sa place si elle n’est pas suffisamment convaincante. Rien que cette idée la rend complètement dingue, en fait, et c’est les lèvres pincées et les sourcils froncés qu’elle pousse un très long soupir en se penchant en avant pour glisser ses mains pâles dans ses cheveux rouges. Respire, Esperanza. Ça va bien se passer. Après tout, elle n’est pas plus conne qu’un autre, elle va y arriver.

Enfin, lorsque la porte s’ouvre, elle finit par attraper son Toxizap à bout de bras pour se lever d’un bond comme un seul homme, devant les deux qui quittent la pièce. L’un salue l’autre qui s’en va et elle pose aussitôt les yeux sur celui qui reste. Grand, fin, l’air plutôt doux, très mignon. Avec un peu de chance, tout va bien se passer, hein ? « Vous pouvez entrer … Euh … Je me suis permis d'appeler les deux autres candidats par leurs prénoms car ils étaient plus vieux que moi, ça vous dérange pas si je vous appelle par votre prénom ?
– Non. » Non ça ne la dérange pas du moment qu’il l’embauche, songe Eva en serrant la main qu’il lui tend, avant d’entrer dans un grand salon, perché dans les arbres. Tout est décoré avec beaucoup de goût, c’est très joli mais elle s’en fout, elle admirera le sens de l’esthétique de Jaeden quand il lui aura fait signer son putain de contrat, songe-t-elle en s’installant sur une chaise en silence. Près d’elle, deux Wimessir approche, la font presque sursauter lorsqu’un plateau vole gentiment jusqu’à la table basse.

« Je vous présente Aria et Berlioz, ils très dévoués à Bordeciel et ils me sauvent la mise tous les jours. Ils prennent plus soin de moi que je ne prends soin d'eux. Vous voulez quelque chose à boire ? Thé ? Café ? » Eva secoue la tête une nouvelle fois. Non, elle ne boira que lorsqu’elle sera calmée, donc pas du tout maintenant ; pour le moment, elle attend juste les questions. Son premier job, c’est maintenant, il faut absolument qu’elle réussisse. « Hum … Dîtes moi donc pourquoi vous voulez travailler à Bordeciel en tant qu'hôtesse d'accueil. Est-ce que le fait que le fait qu'il y ait un élevage de pokémon ici a joué ? C'est pas commun qu'un élevage devienne aussi une auberge. C'est un projet ambitieux et assez nouveau, je crois que j'ai jamais vu les deux combinés ensemble, du moins à Lathea. » La question la fait réfléchir quelques secondes, puis c’est sur un ton sec, quoique pas du tout volontaire, qu’elle y répond. « Il me semble pas non plus. Mais c’est aussi pour ça que votre annonce m’a attirée au départ, le cadre atypique promettait au moins d’avoir un boulot original. »

Bon. Sourire, c’est pas possible, là. Mais être concise, ça elle sait faire, donc tout devrait bien se passer, hein ? Si seulement elle pouvait fumer. Elle a presque clopé un paquet entier depuis ce matin à la perspective de cet entretien. « Et puis j’ai envie de bosser dans un élevage, reprend-elle, docte. A terme ça me plairait peut-être bien d’en ouvrir un, alors autant voir à quoi ça ressemble d’abord. Puis bon, je suis sûre que j’ai les compétences pour faire ce boulot. » D’accord, ce n’est pas forcément l’amabilité qui l’étouffe, Eva. Il n’empêche qu’elle sait bosser, quand bien même n’aurait-elle rien sur son CV, son boulot à plein temps était chez elle, à s’occuper de cinq enfants. C’est quand même pas rien ? « Puis c’est joli chez vous. » Voilà allez hop, question suivante.