Dlingiling-a-ling !

Ce son, je le reconnaîtrais désormais entre mille. Étrange, il m’a fallu un moment pour y prendre habitude et désormais je ne peux réfréner mes sourires en surprenant la musique de ce nouveau compagnon de mon équipe, une femelle du nom d’Hymne. J’ai mis quelques jours voire quelques semaines à identifier la signification des différents sons qu’elle produit dans différents contextes, à la manière d’une langue qu’on apprend à apprivoiser. Ses intonations et musiques recèlent effectivement un langage parfois particulièrement explicite et je serais bien trop ambitieux de me décrire comme capable de tout interpréter. Au fur et à mesure que le temps passe, je m’habitue à son indomptable énergie, à sa présence magnétique et à ses effusions d’affection. D’entre tous les compagnons qui ont rejoint mon équipe dernièrement, celle-ci semble particulièrement se plaire ici. Et ce bruit qu’elle vient d’émettre ne peut signifier qu’une seule chose : nous avons un nouveau client. Lorsque la Korillon ne se trouve pas à mes côtés, elle envahit la réception, dérange souvent le travail de la réceptionniste et surtout accapare les clients de sa joie démesurée. J’essaie progressivement de lui apprendre à respecter les distances avec autrui et à canaliser son énergie… les progrès surviennent lentement toutefois.

Inquiet de retrouver Hymne dans une situation fâcheuse une fois de plus, je descends l’escalier qui séparent mes appartements privés à la réception du centre. Effectivement, je la vois tournoyer autour d’une jeune femme en émettant de petits sons doux, oscillant son corps de gauche à droite. Comme la cliente me tourne le dos pour l’instant, je ne réalise pas tout de suite la familiarité. Un Rocabot tout aussi enthousiaste l’accompagne, un client pour nos services aussi je l’espère ! Nous avons beaucoup à offrir depuis la mise en marche des bains thérapeutiques ainsi que les nouveaux courts de yoga, dispensés par un Pokémon dont j’ai fait l’acquisition récemment : Cadence la Kungfouine. Une brave et sage bête qui accompagne ses élèves avec patience et bienveillance. Je m’approche de la cliente afin de proposer tous ces services, mais surtout pour interrompre les simagrées de la Korillon.

«Bonjour, pardonnez-nous l’accueil quelque peu intrusif madame, Hymne a tendance à… O-Oksana ?!»

Je m’interromps alors que j’ai enfin terminé de contourner mon interlocutrice. Un instant je blêmis, puis je rougis et surtout je balbutie ce qui me semble être une boue vaseuse de mots qui ne font aucun sens. La surprise de sa présence en ces lieux a éclipsé mon jugement et à présent j’ai simplement l’air idiot, à me demander comment il se fait qu’elle soit ici. J’ai devant moi une amie pourtant, une personne sans qui tout ce projet de centre de bien-être n’aurait pas eu lieu. Une mentor pour moi qui, il y a un an, sortait du centre psychiatrique et s’avançait de nouveau dans le monde productif, moi qui alors tentais de réaliser mes rêves. Je suis gêné ! Gêné car son regard sur mon travail me préoccupe, et si ma sempai était déçue de ce que mon équipe et moi avons bâti ces derniers mois ? Un instant, je parais presque malheureux de la voir, alors que ce n’est pas le cas. Je me précipite aussitôt pour lui faire la bise et rectifier le tir.

«Mon dieu, je suis désolé, je te fais aussi un piètre accueil ! Bienvenue au centre du Havre ! Tu ne m’avais pas dit que tu venais visiter aujourd’hui et je… wow ! Je suis vraiment content que tu sois venue nous voir ! Je te présente Hymne. Coucou Calixte ! Tu as encore changé la couleur de tes cheveux !»

Cette tendance chez elle m’a toujours étonné, moi-même qui suis toujours un peu trop classique dans mes goûts et particulièrement dans mon style. Parler de son indomptable chevelure m’offre une certaine distraction face à l’anxiété que je peux sentir grimper en moi.

«Tu avais l’intention de simplement me visiter ou tu venais pour profiter des services ? Nous avons une tonne de nouveautés !»

Je parle trop rapidement, certainement que mon stress ne passera pas inaperçu. Toutefois cette surprise m’a déstabilisé, en d’autres circonstances j’aurais eu le temps de taire ces voix dépréciatrices au fond de mon crâne, celles qui me répètent qu’Oksana sera nécessairement déçue de ce qu’elle verra ici aujourd’hui, et de moi par la même occasion.

Plusieurs émotions me traversent devant cette rencontre imprévue. Une à une, amenant son lot de futiles bouleversements, là où n’aurait dû se retrouver qu’enthousiasme. Oksana en mérite autant, l’estime que j’ai pour elle désormais ne fait aucun doute et pourtant je suis assailli de toutes, de honte, de culpabilité. Sur cette pente glissante de l’insécurité, je n’ai que peu de repères. Heureusement mon interlocutrice semble peu préoccupée par mon propre état, m’offrant toute l’occasion de me ressaisir. Tendu, je sursaute à l’approche toujours un peu trop vive d’Hymne qui est revenue en ma direction en me voyant si peu assuré. Que pourrait-elle comprendre ? La Korillon ne connaît rien de déboires humains, de ces problèmes fictifs où j’aime tant m’empêtrer les pieds. Les apparences, les responsabilités… Non, elle n’a que sa musique à se préoccuper ce qui lui convient parfaitement. Peut-être devrais-je la prendre en exemple, je pense en lui jetant un coup d’œil. Même si la petite Pokémon psy ne connaît rien de notre interlocutrice, elle est très contente de la voir. Allons Daniel, ce n’est pas comme si Oksana allait te manger pas vrai ? J’ai tellement l’habitude de la critique et du stress professionnel que je retourne beaucoup trop facilement dans mes vieilles insécurités. Mais la jeune femme n’a rien de Jasper. Je peux respirer.

«Eh bien ça me fait plaisir.» même si je ne sais pas le montrer, même s’il y a des blocages en moi que la jeune femme ne saisira probablement jamais, ces vieux démons que je traîne à la manière d’un lourd bagage. «Jude’s Creek fait cet effet, il y a quelque chose de rassurant dans ces paysages, ces grands conifères et la neige.»

Je sais aussi que notre accueil, que ce vieux centre de spa et de détente que nous réhabilitons à mesure que les mois passent, n’y sont pas pour rien. Ma présence, celle de mes Pokémon aussi, favorise cet état de paix. Je suis Calixte du regard tandis qu’il rejoint sa maîtresse et se hisse dans ses bras. Tous les deux attentifs à mes explications, ils attendent la présentation des services. Je les invite à passer près du comptoir où un tableau tout frais fait office de soutien visuel à mes explications.

«Nous en avons pour tous les goûts, je crois que vous trouverez quelque chose qui devrait vous plaire. Toutes les heures, nous avons des cours de yoga et de méditation, nous avons aussi des services tels que l’aromathérapie pour Pokémon comme humain, le massage pour Pokémon et mon préféré : l’accès aux bains thérapeutiques ! Nous venons tout juste de les ouvrir, ce sont les bains extérieurs que tu as pu voir dehors. Les plus courageux peuvent passer des bains chauds à la chute naturelle d’eau froide que nous avons, très bon pour la détente et pour la peau !»

Expliquer nos services m’a quelque peu détendu, assez pour me permettre d’être plus naturel et de souffler.

«Je suis un peu stressé de te recevoir, je t’avoue.» je fais avec humilité. «Sans toi ce projet n’aurait jamais vu le jour. Si tu acceptes de sacrifier un peu de temps sur ta détente, j’aimerais bien que tu révises nos techniques de massage… J’ai un nouvel apprenti très enthousiaste, il serait ravi de te rencontrer. Évidemment, cela viendrait avec un rabais subséquent sur tes services aujourd’hui.»

Je me dépêche d’ajouter. Effectivement, Ardeur serait très heureux des conseils d’Oksana. Le petit Ouisticram m’épaule dans tous mes massages désormais et montre un potentiel indéniable pour cet art. Il n’y aurait rien de mieux que l’expertise de la jeune femme pour le guider, mais après je ne voudrais pas troubler son moment pour se relaxer.

Inutile de se mettre la pression ? Si seulement c’était si simple. Je souffre d’une gymnastique mentale récurrente qu’elle ne saurait écarter. Malgré toute sa gentillesse et sa bienveillance, je ne pourrai empêcher la culpabilité et l’anxiété de s’installer. Aussi certainement que le soleil qui se lève à tous les matins, ces vieilles amies perverses s’installent en moi sitôt une situation sociale survient, particulièrement une où j’ai le sentiment de devoir quelque chose. J’aimerais lui exprimer le fond de ma pensée, lui dresser l’analyse de cette fragilité qu’elle a certes côtoyé du temps qu’elle m’a formé, mais probablement jamais connu en profondeur; puisque malgré moi je tente de la dissimuler pour éviter d’être un poids pour autrui. Je crois que si je lui expliquais, elle comprendrait. Elle l’accepterait et pourrait même m’y aider. Mais je ne peux m’y résoudre. Je lui dois déjà tellement. J’espère simplement que cette journée de détente avec son Rocabot lui apportera du bien. Je m’en fais même un devoir personnel. Elle semble effectivement déjà détendue, ainsi je n’insiste pas, affichant un sourire beaucoup plus sincère qui aurait dû être présent dès le départ. C’est à moi de la décharger de ses tracas quotidiens, pas l’inverse.

«Cela devrait pouvoir se faire alors.»

Je la laisse d’ailleurs étudier toutes les possibilités qui s’offrent à elle au niveau des services. Elle commente en disant que l’élève a dépassé le maître, et je m’oppose aussitôt en secouant vivement la tête. Si le mandat de mon élevage est plus large, nous ne faisons pas exactement la même chose et les deux services, plutôt qu’entrer en compétition, se complètent plus que d’autre chose. Ainsi je refuse de la voir parler en ces termes.

«Pas du tout, tu resteras toujours la meilleure masseuse de Pokémon de Lathea, et toiletteuse aussi bien entendu. Mais oui, nous avons bien développé nos services depuis notre ouverture il y a dix mois. Ça a passé si vite ! Je suis content du résultat bien que j’aimerais encore développer notre expertise, par exemple pour ce qui est de la thérapie par les rêves, dont je n’ai pas parlé car je veux encore parfaire la discipline avant de la proposer aux clients.»

Je souris, ramenant par réflexe la petite Korillon sur mon épaule. Celle-ci émet un tintement curieux, toujours aussi portée vers la jeune femme et son toutou trop affectueux. La méditation et un massage pour Calixte, voilà qui est parfait. Je fais le tour du comptoir pour surveiller l’horaire, mais comme je me doutais il y a de la place maintenant pour un peu de méditation. Puis Candeur, ma Kungfouine, pourra participer aussi comme elle a pause de ses classes de yoga.

«Parfait, j’ai effectué vos deux réservations, nous allons commencer par la méditation. J’ai inclus Calixte dans la séance si tu le désires, mais si tu préfères elle peut aussi passer à l’élevage pour jouer avec les autres Pokémon le temps de ta détente. À votre guise !»

Connaissant le chiot, j’imagine qu’il ne voudra pas quitter sa chère dresseuse, néanmoins cela reste à prouver. Maintenant que l’aspect administratif est comblé, il ne reste plus qu’à mener ma cliente dans le deuxième immeuble. Un sentier de larges pierres ainsi qu’un escalier taillé de la même manière nous mène au second bâtiment, qui accueille tous les services. Sitôt rentrés que la chaleur nous enveloppe, ainsi qu’une légère odeur d’eucalyptus. Je fais signe à Hymne de rester silencieuse, car elle a parfois du mal avec cette consigne. La salle de méditation est toute simple : on y retrouve des matelas ainsi que des fauteuils confortables, selon les préférences. Depuis peu, la Korillon joue un rôle pour mener les clients jusqu’à cet état de détente. Nous allons tenter notre chance à nouveau aujourd’hui. Candeur nous rejoint dans la salle, saluant Oksana d’une révérence respectueuse.

«Candeur va nous assister aujourd’hui. Au fond du couloir, tu trouveras un vestiaire si tu veux déposer quelque chose. Sinon ce que je te propose aujourd’hui et une séance pour t’expliquer comment bien méditer, puis une séance guidée. Tu es chanceuse, il n’y a personne aujourd’hui alors vous aurez le cours pour vous seuls.»

Je souris. La méditation est une arme que je ne maîtrise pas encore pleinement, mais qui moi-même m’a énormément aidé ces dernières années. Oksana s’y connaît-elle un peu ? Cela reste à voir.